Portraits d’acteurs: Interview avec Alice Morcrette, la directrice de « Haut-de-France Pass Rénovation »

23 mai 2022

Peux-tu te présenter ? Quel est ton parcours professionnel ? Comment es-tu devenue directrice du Service Public d’Efficacité énergétique (SPEE) des Hauts-de-France ?

J’ai suivi une formation scientifique d’ingénieur chimie des matériaux, d’abord à l’Ecole Nationale Supérieure de Chimie de Paris (aujourd’hui Chimie Paris Tech – Université Pierre-Simon Laplace), puis en doctorat à l’université Pierre-et-Marie-Curie.

J’ai commencé ma carrière chez ISOVER, une entreprise du groupe Saint-Gobain spécialisée dans la conception et la fabrication de laines minérales pour l’isolation des logements. Pendant presque 15 ans je me suis spécialisée dans le domaine de l’isolation et de la rénovation énergétique, d’abord en tant qu’ingénieur « développement des procédés techniques », puis en tant que cheffe de projet international pour le « développement d’un processus de formation des opérateurs en usine avec des méthodes d’e-learning et de tutorat ». Ensuite, j’ai repris un poste plus technique d’ingénieur ‘Développement Systèmes’ qui m’a permis de travailler sur divers matériaux d’isolation : de la laine de verre pour l’Isolation Thermique par l’Extérieur aux isolants sous vide plus innovants !

En 2012, j’ai eu la chance de pouvoir intégrer la 2ème promotion du Mastère Immobilier Bâtiment Energie de l’Ecole des Ponts, Mastère créé en 2011 dans le contexte du Grenelle de l’Environnement, avec un centrage sur les performances énergétiques et environnementales. Cela m’a permis de développer des compétences beaucoup plus globales et de mieux comprendre les enjeux du bouleversement des métiers de la construction, de la rénovation et de la gestion de l’immobilier et du bâtiment devenu nécessaire pour l’atteinte de la neutralité carbone à l’horizon 2050.

C’est donc tout naturellement que j’ai souhaité intégrer la Régie du SPEE en 2014 afin de participer au développement de nouveaux outils au service de la Rénovation Energétique. D’abord responsable technique, je suis devenue directrice en 2017.

Peux-tu nous présenter le SPEE ?

La régie du SPEE, Service Public de l’Efficacité Énergétique des Hauts-de-France, est un établissement public régional, donc un EPIC (établissement public à caractère industriel et commercial), qui travaille en contrat de service public avec la Région des Hauts-de-France. Son objectif est de proposer un service d’accompagnement à la rénovation énergétique à destination de l’ensemble des habitants de la région, que ce soient des propriétaires occupants ou bailleurs de maisons individuelles ou des copropriétés.

En tant que Société de Tiers Financement (STF), nous proposons une offre globale et intégrée qui permet aux usagers de bénéficier d’un accompagnement à la fois technique et financier. Les propriétaires sont accompagnés de la genèse de leur projet jusqu’à la fin de leurs travaux et même après. L’offre technique comprend la réalisation d’un audit énergétique complet de leur logement, la définition d’un programme de travaux optimal, l’accompagnement dans le choix des artisans et le suivi du chantier. La Régie a choisi de travailler en délégation de maîtrise d’ouvrage (MOD) ce qui nous permet d’agir pour le compte du propriétaire directement auprès des différents acteurs du projet.

L’offre financière quant à elle consiste en :

  • un accompagnement dans la recherche des aides et subventions auxquelles les propriétaires peuvent prétendre, ainsi que de l’aide dans le montage des dossiers
  • une proposition de financement complémentaire sous forme de prêt, possible en vertu de l’exception au monopole bancaire dont bénéficient les sociétés de tiers-financement pour financer le reste à charge.

Une fois que les travaux sont terminés, nous restons en contact avec les ménages encore 3 ans pour les accompagner dans le suivi des consommations et ainsi vérifier que l’on a atteint l’objectif de gain énergétique prévu lors de la définition du scénario de travaux, au minimum 35% d’économie d’énergie. Ce suivi est très important à nos yeux car il permet de valider la pertinence des travaux réalisés mais aussi la pertinence des plans de financement. En effet, les économies estimées en phase conception sont considérées comme une réelle ressource des ménages pour rembourser leurs mensualités de prêt ; des écarts trop importants entre économies estimées et économies réalisées pourraient donc mettre en péril l’équilibre des projets pour certains ménages.

Quelles sont vos prochaines étapes dans le développement de la régie ?

Les défis sont immenses. Pour atteindre l’objectif de réduction de 50% des émissions du secteur résidentiel entre 1990 et 2028 défini dans la Stratégie Nationale Bas Carbone, la France prévoit la rénovation de 500 000 logements par an au niveau BBC d’ici 2050 dans le secteur résidentiel. Nous en sommes aujourd’hui à 40 000 par an et dont seulement 25% permettent un saut de 2 classes énergétiques ou plus. Les principaux enjeux sont donc actuellement la massification de la rénovation énergétique et la garantie de qualité des travaux.

En ce qui concerne la régie, nous avons déjà élargi notre zone d’action en 2020 passant du territoire de l’ancienne région Picardie à la totalité de la région Hauts de France. Mais la Régie ne pourra pas seule organiser et gérer la massification pour l’ensemble de la Région. Elle peut se positionner en tant que cheffe de file. Nos enjeux sont donc au côté de la Région de démontrer la faisabilité, d’initier la massification en travaillant sur certaines cibles de manière plus poussée (copropriétaires, propriétaires bailleurs, acheteurs…) et d’accompagner les différents acteurs qui pourront s’investir pour ce défi (artisans, entreprises, financeurs…) en nouant des partenariats constructifs.

Pour développer notre action plus rapidement, nous nous sommes regroupés en décembre 2021 avec les 5 autres sociétés de financement : Île -de-France Energies, Oktave (Grand Est), AREC Occitanie, Centre-Val-de-Loire Énergies et Facirénov par Bordeaux Métropole Énergies, pour créer une association, SERAFIN, dont les objectifs sont de déployer et diffuser le modèle des sociétés de tiers-financement ; de créer un espace d’échange privilégié entre les différents acteurs de la rénovation énergétique ; de constituer un portefeuille d’outils et de méthodologies communs ; et de contribuer au pilotage et à l’optimisation des sources de financement des projets de rénovation.

SERAFIN devrait donc être un vecteur de diffusion du modèle des sociétés de tiers-financement et de leur représentation à l’échelle nationale et européenne, où elles font figure de référence pour les Services Intégrés de Rénovation Energétique, l’un des dispositifs-clé prévus dans la révision de la directive européenne pour l’efficacité énergétique des bâtiments.

Quels conseils donnerais-tu à une collectivité européenne qui souhaiterait lancer un dispositif de ce type ?

Il est vraiment nécessaire de faire un état des lieux très précis des besoins et des initiatives déjà en place. C’est primordial pour développer un dispositif adapté aux spécificités locales.

Beaucoup d’initiatives et de projets de One Stop Shop ont émergé un peu partout en Europe, et je conseillerai toujours aux porteurs de ces projets d’embarquer technique et financement systématiquement quelle que soit la façon dont la partie financement est mise en œuvre. Cela peut être un partenariat avec des acteurs déjà existants ou comme pour les STF la mise en place d’un financement direct. Il est surtout important d’apporter aux futurs propriétaires rénovateurs le maximum d’information, de conseil et de soutien pour qu’ils n’hésitent pas à passer aux travaux.

Concrètement, comment est composée une équipe du SPEE et comment fonctionne-t-elle pour accompagner des particuliers dans leur rénovation ?

Pour chaque projet de rénovation, au sein du SPEE, 3 personnes se complètent pour coordonner les travaux et leur suivi. On distingue le technicien de la rénovation énergétique, le chargé d’opération de tiers-financement et le chargé du suivi post-travaux.

Le technicien de la rénovation énergétique est le premier contact des propriétaires, et reste leur interlocuteur privilégié durant tout le projet. C’est lui qui assiste les propriétaires sur tous les sujets techniques (choix des entreprises, suivi du chantier, réception…) ; il travaille donc en étroite collaboration avec les professionnels du bâtiment chargés de la réalisation des travaux.

Le chargé d’opération de tiers-financement quant à lui s’occupe du volet administratif et financier des projets de rénovation. Il échange constamment avec le technicien et veille au montage administratif du dossier. Il s’assure de la faisabilité financière de l’opération, mixant aides publiques et offre de financement portée directement par le SPEE.

Enfin, le chargé du suivi post-travaux prend le relais du technicien à la fin des travaux. C’est lui qui va recontacter régulièrement les propriétaires pour faire le point. Il va les interroger sur l’évolution de leur confort et de leurs consommations d’énergie, pendant les 3 années du suivi. Il peut ainsi faire le bilan du projet avec les propriétaires, comparer les résultats aux objectifs attendus et accompagner les propriétaires dans l’utilisation optimale de leur logement.

Pour sélectionner les entreprises et artisans qui travaillent sur le chantier nous organisons en général une consultation inspirée des appels d’offres mais largement simplifiée. Nous collectons ainsi les devis par plusieurs canaux : la plateforme de consultation des marchés de la Régie, l’envoi de mails aux entreprises RGE du territoire, le contact direct des particuliers avec les entreprises… Le cahier des charges de la consultation permet d’assurer une consultation homogène quel que soit le canal utilisé. Pour être sélectionnées, les entreprises doivent être certifiées RGE et assurées pour les travaux concernés. Elles doivent également être à jour de leurs obligations fiscales et sociales et avoir visité le futur chantier pour préparer leur devis.

De manière générale, la Régie s’adresse en particulier aux petites entreprises locales.

Selon toi, quelle est la grande plus-value des sociétés de tiers-financement ?

Selon moi, le plus grand intérêt des sociétés de tiers financement, en comparaison des autres dispositifs d’information et de conseil existants, est l’offre intégrée qui permet de gérer avec un interlocuteur unique les travaux et le financement direct du reste à charge avec des prêts long terme (20-25 ans).

En réalité, l’offre de prêt bancaire standard proposée par les banques pour financer les restes à charge qui sont en moyenne d’environ 30k€ n’est pas très adaptée, ni en durée, ni en montant (sachant que le coût d’une rénovation énergétique varie de 30 000 à plus de 60 000 €). Les prêts à la consommation proposés pour financer les travaux dépassent rarement une durée de 7 à 10 ans entrainant des mensualités importantes et bien supérieures aux économies d’énergie générées. Quant à l’offre de crédits immobiliers, plus adaptée en durée, elle n’est vraiment mobilisable qu’en cas de travaux au moment de l’achat.

Depuis 2015, la loi sur la Transition Énergétique pour la Croissance Verte a permis aux STF, dès lors qu’elles sont détenues majoritairement par des collectivités territoriales, de prêter directement de l’argent et non plus d’intervenir uniquement en tant qu’intermédiaire d’une banque.

Cette exemption au monopole bancaire, nous permet finalement d’offrir un dispositif de financement dans de meilleures conditions, mais aussi d’ouvrir les portes de la rénovation énergétique à des ménages qui n’auraient pas reçu de prêts des banques. Nous avons en effet pu développer des critères d’octroi propres aux projets de rénovation énergétique intégrant de multiples critères et indicateurs (économies d’énergie, valeur du bien, analyse fine du reste à vivre des ménages…) que nous nous efforçons de contrôler et de back-tester régulièrement pour nous conforter dans nos démarches.

La régie a reçu, lors de sa création une dotation de 7,6 M€ de la Région pour la partie investissements, ce qui nous a permis de commencer cette activité de prêt. Nous sommes aussi soutenus par la BEI et l’Union européenne par le biais du mécanisme d’assistance technique ELENA qui nous a permis d’avoir une subvention de fonctionnement pour les premières années et un prêt de 35,5 M€ pour l’activité de rénovation et de prêt.

Ainsi, c’est 85 % des dossiers qui sont réalisés avec du tiers-financement.

Combien d’opérations de rénovation énergétique avez-vous accompagnées depuis la création de la régie ?

A ce jour, depuis le début de sa création, nous avons accompagné 3191 logements qui en sont à différents stades de leurs projets, des maisons individuelles comme des logements en copropriété (27 copropriétés). Quel que soit le ménage, le montant moyen des travaux est environ de 45 000€ en maisons individuelles. Pour les copropriétés, les opérations prennent en moyenne 2,5 à 3 ans, car notre processus de construction du projet avec les copropriétaires demande de passer par 3 votes en assemblée générale.

Nous avons également réalisé 8503 études de faisabilité en maison individuelle avec une augmentation particulièrement importante l’année passée (+ 60%), grimpant de 672 en 2020 à 1 760 durant 2021. Aussi, le nombre de contacts a presque doublé entre 2020 et 2021, ce qui permet d’espérer un nombre grandissant de chantiers en 2022.

Les résultats des autres STF sont également encourageants et montrent clairement l’efficacité du modèle des STF pour engager des rénovations performantes. Avec l’ensemble des STF, sur l’année 2021, nous avons réalisé 8 800 audits énergétiques ou études de conception, 1 200 rénovations performantes de logements, pour un total de 45,5 millions € de travaux engagés. Nous attendons des économies d’énergie moyenne de 18,3 Mwhef pour les logements individuels, et 7,7 Mwhef pour les logements collectifs.

En quoi consiste ton rôle de directrice de la régie du SPEE ?

En tant que Directrice, mon rôle est de donner les moyens à la structure de répondre aux missions qui nous ont été confiées par la Région Hauts-de-France dans le cadre du Contrat de Service Public signé avec la Région sous le contrôle bien entendu du Conseil d’Administration, composé de 12 élus régionaux et d’une personne qualifiée (représentant de l’Agence de la Transition Ecologique – ex Ademe). Je prépare les orientations budgétaires, j’échange avec les partenaires financiers ou les partenaires opérationnels, j’organise les process et dirige l’établissement dans ses différentes dimensions (organisationnelle, humaine, commerciale, financière…) avec la particularité d’avoir à adresser des sujets très différents les uns des autres. Même si bien entendu, la structure est organisée par pôles de compétences avec des managers spécialisés, je prends plaisir pour ma part à essayer d’incarner la multi-disciplinarité demandée par nos métiers. Un jour, je suis en réunion avec la BEI pour notre prêt de refinancement, le lendemain, je participe à une assemblée générale ou je visite un chantier de maison individuelle. J’essaye de rester très opérationnelle notamment en participant activement à certains projets de rénovation (notamment en copropriété). Une part importante de mon temps est aussi réservée aux relations avec les collectivités territoriales avec lesquelles il est important de nouer des liens forts pour articuler les différents dispositifs (opérations programmées, programmes d’intérêt général…).